Il n'était pas tout à fait 8h lorsque Albert se rendit rue de la Marne avec son tablier taché de graisse et de traces non identifiées. Il ne faisait pas non plus très beau. De lourds nuages gris menaçaient le ciel de quelques éclairs mais cela n'eu pas l'air d'affecter le bon vieux Albert qui maugréa quelques paroles à propos de ce temps de merde. Il descendit la rue, passa devant quelques échoppes toutes aussi miteuses les unes que les autres et s'attarda devant la devanture d'une petite boutique étroite dont la pancarte indiquait "Animalerie Pokemon". Albert plongea la main au fond de l'énorme poche de son tablier et il en retira un trousseau de clefs. Il passa quelques secondes à les observer toutes chacune leur tour lorsqu'enfin il trouva la bonne. Albert s'avança quelque peu flegmatique et ouvrit la grille qui recouvrait l'animalerie. Il chercha de nouveau la bonne clef dans son trousseau avant d'ouvrir la porte de la boutique. L'endroit était très sombre et encore plus étroit. Une odeur nauséabonde d'excréments, de renfermés, de poils et de nourritures envahissaient vos narines dès que vous y déposiez un pied. Il passa derrière le comptoir, déposa ses clefs, vérifia la caisse avant de se rendre dans l'arrière boutique. Horreur de toutes les horreurs. Ici étaient entassés une vingtaine de petites cages toutes aussi étroites les unes que les autres, empilées de façon peu convenables. Dedans se trouvaient des pokemon à l'agonie, en piteux état et dont la santé semblait entamée. Pour les tirer de leur sommeil, Albert agita les cages provoquant chez certains pokemon une montée d'adrénaline si puissante qu'il devinrent blanc le temps d'un instant, la peur au ventre. Albert n'était pas quelqu'un de très convenable, c'était même quelqu'un de cruel qui ne faisait jamais dans les sentiments encore moins quand il s'agissait de pokemon. Il avança à travers l'arrière boutique et jaugea chaque pokemon d'un oeil mauvais. Soudain il en désigna une douzaine du bout des doigts.

- Toi, toi, toi et toi, vous sortez d'ici vous passez dans la boutique ! Vous avez intérêt à faire bonne figure et à être de véritables petits amours avec les clients si vous voulez avoir une chance de quitter cet endroit !

C'était le même speech tous les matins mais Albert avait la flemme de faire dans l'originalité surtout que ses capacités intellectuelles étaient trop limitées pour qu'il puisse trouver autre chose. Il ouvrit les cages des pokemon qu'il avait désigné et les prit par la peau du cou, du moins ceux qui avaient un cou... Il les traîna jusque dans la boutique où il les enferma dans des sortes d'aquarium au moins, ces bocaux-là étaient en meilleurs états que les cages de l'arrière boutique. Parmi les pokemon qu'Albert avait désigné il avait choisit un Phyllali dont il ignorait complètement le nom et pour tout vous dire il s'en fichait pas mal. Un fois qu'il eu déplacé tous les pokemons, Albert se dirigea vers la porte de sa boutique où il changea le carton "close" pour le carton "open". C'est alors que la journée débuta.

Quelques rayons de soleil passaient à travers les fenêtres crasseuses de la boutique baignant d'une lumière bienfaitrice les pokemon qui n'avaient pas vus le jour depuis des jours voire des semaines pour les plus malchanceux. Il n'était pas rare qu'il y est des pokemon invendus. Dans ces cas-là, c'était terrible... pour les pokemon. Albert, lui, les offraient dans ces cas-là à son fils ou à sa femme qui s'empressaient de les épuiser par un labeur acharné jusqu'à ce que mort s'ensuive. Les mains d'Albert n'étaient pas vierges de tout crime, bien au contraire, elles étaient si sales que parfois, Albert se réveillait en pleine nuit secoué par un affreux cauchemar. Le remord dites-vous ? Je n'en suis pas certain. Albert n'a aucun remord sinon il ne recommencerait pas ses crimes encore et encore.

Ce jour-là, Albert jeta un regard d'ensemble sur la boutique et c'est alors que la sonnette de la boutique retentit. Des clients venaient de pénétrer dans l'animalerie. C'était un couple d'une quarantaine d'année tout au plus. La femme se tenait droite, les épaules en arrière, les cheveux relevés, elle avait une allure très fière. Son mari quand à lui avait une carrure un peu plus carrée. Ils observèrent les pokemon dans les cages lorsqu'enfin ils s'arrêtèrent devant un phyllali.

- Celui-ci devrait faire l'affaire, fit remarquer la femme d'une voix froide et incorrigible.

Le visage d'Albert s'illumina d'un sourire en coin qui faisait plutôt penser à une immonde grimace. "Chouette, se disait-il, je vais vendre un pokemon aujourd'hui ! ça tombe bien, le loyer reste encore à payer". Il s'approcha du couple d'un pas discret et d'une voix qui se voulait anormalement calme et posée, il dit ceci :

- Je vois que vous êtes intéressez par ce Phyllali, laissez-moi vous dire que vous faites là une affaire en or. Mes gars ont attrapés ce Phyllali dans la forêt. Il est agile, rapide, et je dirai même habile ! Il est parfait pour exécuter des tâches plus ou moins difficiles. A n'en pas douter, je dirai même que c'est ici le pokemon qui sera très certainement le plus facile à dresser, il est extrêmement docile et ne se plaint jamais. C'est important ça, les pokemons qui ne se plaignent jamais !

Convaincus, le couple s'adressa un regard entendu.

- Nous le prenons.

L'homme à la carrure d'armoire à glace s'empara du Phyllali par le cou, même Albert qui était doté d'un sens aiguë de la cruauté n'en revenait pas de la violence avec laquelle il le tenait fermement. Mais Albert n'était pas du genre à s'émouvoir pour si peu. Un rictus éclaira son visage de sadique. Finalement, il appréciait la manière avec laquelle le Phyllali était traité. Après tout, les pokemons n'étaient sur cette terre que pour servir les humains, du moins c'est ce que pensait fermement le corpulent Albert. Une fois vendu, le pokemon fut jeté dans une cage étroite. L'homme à la carrure imposante s'avança vers Albert et lui serra la main.

- Y a-t-il autre chose que nous devrions savoir ? Demanda-t-il.
- Pour ce qui est de la nourriture il faut généralement lui donner à manger deux fois par jour mais une fois devrait être suffisant. Entre nous, il n'existe pas encore de syndicat de pokemon, si vous oubliez une fois de temps en temps de le nourrir, ce n'est pas bien grave. A qui voulez-vous qu'il se plaigne ?

Albert avait dit ça sur le ton de l'humour mais on sentait bien les limites de cet humour dans le ton qu'empruntait sa voix. Quelque chose de froid et de cruel en ressortait. Le couple s'en alla de la boutique, la cage en main. Albert, tout souriant, se rangea derrière le comptoir et observa la liasse de billets qu'il venait d'obtenir. Il étira ses lèvres jusqu'à laisser apercevoir ses dents aussi sales et noirs que l'était son animalerie. Il se tourna vers les pokemon qui restaient à l'intérieur de sa boutique et darda sur eux un regard froid et peu amical. Puis il sortit de la boutique pour se mettre juste devant. Il observa la rue, elle était vide. Albert alluma une cigarette. La journée allait être belle.